Le 24 octobre 1918, quelques jours après la libération de la ville de Lille, Julienne-Marie de Bettignies écrit au Maire de Lille pour lui annoncer le décès de sa fille, Louise de Bettignies, décédée en Allemagne le 27 septembre 1918.
Originaire de Saint-Amand-les-Eaux, Louise de Bettignies a 34 ans en 1914. Elle réside à Lille au n°166 de la rue d’Isly.
Durant le siège de Lille en octobre 1914, malgré le danger, Louise et sa sœur Germaine ravitaillent les soldats français qui combattent aux portes de la ville. Louise de Bettignies travaille ensuite comme infirmière dans les hôpitaux lillois et organise également le transport de courriers vers la France non occupée.
Recrutée par les services secrets britanniques en février 1915, elle monte le « réseau Alice », composé de 80 personnes. Celui-ci est chargé de fournir des renseignements sur l’organisation de l’armée allemande dans la région de Lille et d’aider les soldats alliés à s’évader via les Pays-Bas, pays neutre. Durant ses neuf mois d’activités clandestines, elle aurait réussi à se rendre cinq fois en Angleterre en passant par la Belgique et les Pays-Bas.
Arrêtée le 20 octobre 1915, elle est condamnée à mort le 19 mars 1916. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité et elle est incarcérée dans la forteresse de Siegburg, près de Cologne. Suite à une pneumonie mal soignée, elle décède à Cologne le 27 septembre 1918.
La nouvelle de son décès est annoncée au Maire de Lille, Charles Delesalle, par Julienne-Marie de Bettignies, la mère de Louise de Bettignies, le 24 octobre 1918.
Berck Plage 24 8bre 1918 Villa Les Chardons. Rue de la Plage
Monsieur Delesalle Maire de Lille
Je voudrais vous dire combien je partage votre joie à tous, de la libération de Lille, et l'administration, qui depuis quatre ans, va vers vous, Monsieur. J'ai malheureusement à vous annoncer, la mort de ma fille, Mademoiselle Louise de Bettignies, décédée à Cologne le *** |
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27 7bre 1918. Prisonnière depuis trois ans, enfermée dans la forteresse de Siegburg, elle refuse de travailler à des engins de guerre contre la France, d'engager ses compagnes de captivité à suivre son exemple. [Il] n'avait pas le droit de leur commander cet ouvrage. Traitée avec une cruauté inouie, le 2 xbre 1917, elle fut longtemps en grand danger. Depuis, sa santé ne fit que péricliter. Grâce à l'intervention de l'Espagne, elle fut transportée dans un sanatorium à Cologne à la fin de juillet. C'était l'acheminement vers la Suisse, objet de nos démarches, et de nos désirs ! *** |
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Vous n'êtes-pas, sans avoir su, Monsieur, sa part d'action et de dévouement ! C’est par affection pour les habitants de la ville de Lille que vous représentez si dignement, Monsieur, qu'elle a franchi pour la première fois la frontière. Leur tristesse, leurs inquiétudes [sur] ceux qui étaient en France libre, lui fais [de la] peine, et elle a voulu donner à tous, un peu de bonheur, par l'échange de nouvelles ! Le reste sera connu plus tard... La guerre n'est pas encore finie. C'est une victime, martyre des Boches, qui meurt sans avoir vu la victoire, le drapeau français et le drapeau anglais flotter ensemble sur votre ville ! Le roi d'Espagne et le Sn Père |
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*** n'ont pu obtenir ni sa grâce, ni un adoucissement, elle était trop dangereuse et avait trop nui aux armées allemandes....
Je n'ai pas besoin de vous dire combien je la pleure ! C'est la seconde fille que je perds depuis la guerre, et quelle enfant !! Veuillez recevoir, Monsieur le Maire, l'assurance de mes sentiments les plus distingués
J. de Bettignies née Mabille de Poncheville |
Lettre de Julienne-Marie de Bettignies à Charles Delesalle le 24 octobre 1918
Archives municipales de Lille – 4H74
Dans cette lettre, Julienne-Marie de Bettignies revient notamment sur son action de passeuse de courrier pour les Lillois.
« C’est par affection pour les habitants de la ville de Lille […] qu'elle a franchi pour la première fois la frontière. Leur tristesse, leurs inquiétudes [sur] ceux qui étaient en France libre, lui fais [de la] peine, et elle a voulu donner à tous, un peu de bonheur, par l'échange de nouvelles ! »
Durant les quatre années d’occupation, Lille est en effet coupée du reste de la France et la correspondance avec l’extérieur est interdite. Comme d’autre passeurs clandestins, Louise de Bettignies décide de franchir la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas, pour permettre l’acheminement de courriers vers les familles des Lillois se trouvant de l’autre côté de la ligne de front.
Julienne-Marie de Bettignies revient également sur la détention de Louise de Bettignies à la forteresse de Siegburg où elle continue à résister quand elle apprend que les détenues sont chargées de travailler sur des armes de guerre, en opposition aux conventions de Genève.
Portrait de Louise de Bettignies par R. Giard.
Archives municipales de Lille – 4H74
Pour cet acte de résistance, Louise de Bettignies est condamnée à l’isolement. Elle tombe malade et n’est pas correctement soignée. Grâce aux démarches de ses proches, elle est transférée dans un hôpital à Cologne, peu de temps avant son décès le 27 septembre 1918[1].
En réponse à la lettre de Julienne-Marie de Bettignies, Charles Delesalle rend hommage à Louise de Bettignies.
« Permettez-moi, Madame, de vous témoigner mon admiration et l’assurance que votre chère Fille aura bien mérité de la Patrie et de la Ville de Lille que je représente. Aussi, je lui exprime dans la tombe, hélas, ma reconnaissance émue pour les services qu’elle a rendus à mes concitoyens pendant l’occupation ».
Lettre de Charles Delesalle à Julienne-Marie de Bettignies le 7 novembre 1918.
Archives municipales de Lille – 4H74
Le corps de Louise de Bettignies est transféré à Lille en mars 1920 où des funérailles solennelles sont organisées par la Ville de Lille. Louise de Bettignies est inhumée à Saint-Amand-les-Eaux, sa ville natale.
Les Archives municipales conservent un dossier relatif à l’organisation de ces funérailles et aux différentes commémorations qui ont lieu après la guerre (dossier référencé 4H74).
Pour en savoir plus sur Louise de Bettignies, nous vous invitons à participer à :
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[1] Louise de Bettignies est enterrée au cimetière de Cologne. Son corps est transféré en France en 1920. La croix qui se trouvait sur sa tombe à Cologne se trouve aujourd’hui dans la basilique de Notre-Dame-de-Lorette.