1615 : le plan de Lille petitement
Ce plan de Lille en 1615 est intéressant à plus d'un titre, aussi bien pour son esthétique que pour le contexte de son élaboration.
Tout au long de son histoire, la ville de Lille a connu de nombreux agrandissements. Au départ simple motte castrale établie au bord de la Deûle, la ville s'agrandit petit à petit au gré de son développement économique et démographique.
Chacun de ces agrandissements conduit la municipalité à engager de grands travaux pour raser les remparts existants et en construire de nouveaux, ainsi que de nouvelles portes.
La ville profite de ces opérations pour ériger de nouveaux bâtiments et créer de nouveaux quartiers dans son enceinte.
L'agrandissement nécessaire de Lille au début du 17ème siècle
Lille n'a pas connu de grand changement sur le plan urbanistique au cours du 16ème siècle.
La ville fait partie à cette époque de l'immense empire de Charles Quint et dépend donc de son autorité dans tous les domaines. Ainsi, si le Magistrat de Lille souhaite engager de grands travaux et agrandir son enceinte, il doit obtenir l'approbation de l'empereur.
Mais bien que celui-ci ait validé plusieurs projets d'agrandissement soumis par les membres du Magistrat lillois, aucun ne sera finalement mené à bien.
Ces agrandissements étaient pourtant nécessaires, la population étant en constante augmentation durant la première partie du 16ème siècle. C'est à cette époque que ce sont multipliées les courrées et ruelles insalubres dont la ville aura par la suite bien du mal à se débarrasser.
L'espace urbain est saturé et la population est à l'étroit entre les remparts. Cependant, les difficultés économiques et sociales majeures de la ville au cours de la deuxième moitié du 16ème siècle empêchent finalement ces projets d'agrandissements d'aboutir et les travaux sont reportés.
La fin du 16ème siécle et le début du 17ème siécle marquent le retour à une période plus apaisée et plus propice au développement de la ville. On peut même parler "d'âge d'or " pour Lille. En effet, sous l'autorité du roi d'Espagne Philippe II et surtout de sa fille Isabelle, à laquelle il a cédé les Pays-Bas, la ville retrouve sa prospérité économique et connaît durant la première moitié du 17ème siècle deux aggrandissements successifs. Ceux-ci s'accompagnent de la construction de nouveaux bâtiments ainsi que de travaux visant à renforcer une partie des remparts existants.
A partir de 1593, la construction d'une nouvelle halle échevinale est lancée sur la place du marché pour remplacer la précédente devenue trop étroite. Dans le même temps un grand couvent et son église sont bâtis pour accueillir les Capucins.
En 1595, la Porte de Saint-Sauveur est murée car elle est jugée inutile de part sa proximité avec la Porte du Molinel. Cette opération s'accompagne de la destruction de quelques tours jugées inadaptées à l'évolution de "l'art militaire" ainsi que de travaux de renforcement et d'embellissement sur l'ensemble des remparts.
Vers 1597-1598, c'est l'ingénieur du roi d'Espagne, Mathieu Bollin, qui travaille sur le plan d'agrandissement de Lille. Celui-ci sera réalisé entre 1603 et 1605, au sud-ouest de la ville, entre la Porte des Malades et la Porte de la Barre. La Porte du Molinel est supprimée et remplacée par la porte de Notre-Dame, plus avancée, trois bastions viennent remplacer les tours détruites. La ville s'agrandit de 17 hectares et sa protection est renforcée.
De nouvelles rues sont ouvertes et de nombreuses maisons sont construites. Le Magistrat en profite pour imposer un réglement sur les constructions dont les façades doivent obligatoirement être en pierres ou en briques, une manière de prévenir la propagation des grands incendies.
Une importante partie du nouveau territoire de la ville est également cédée aux Jésuites pour y construire un collège et une église dont la construction sera achevée en 1611.
Un plan majeur de Lille entre deux agrandissements
En 1615, Lille se trouve donc dans une période prospère. La situation politique et économique est stable, l'agrandissement de la ville a eu lieu et offre une bouffée d'air aux Lillois même si un nouvel agrandissement sera prochainement nécessaire, le nouveau territoire se trouvant rapidement occupé.
Le plan de "Lille petitement" offre une vision de la ville telle qu'elle se trouve à cette époque intermédiaire, entre deux agrandissements.
Ce plan est issu d'un ensemble de documents conservé par les Archives municipales nommé "Pièces aux Titres". Cet ensemble regroupe plus de 4000 chartes rédigées entre le 11ème siécle et la Révolution. Son inventaire définitif a été rédigé à la fin du 19ème siécle par l'archiviste municipal Max Bruchet.
Le plan de 1615 est répertorié PAT 93/1701. Il présente la particularité d'être le seul document de cet ensemble des "Pièces aux Titres" à ne pas être une charte, c'est à dire un acte juridique. Sa présence dans ce corpus documentaire laisse penser qu'il a été jugé suffisamment important par les archivistes de l'époque, peut-être autant pour les informations qu'il contient que pour son esthétique. Il a été réalisé sur papier à l'encre et en partie grâce à la technique du lavis (une technique qui consiste à utiliser une couleur et à la diluer plus ou moins pour obtenir différentes teintes).
Le plan est agrémenté d'une légende assez détaillée. Bien que difficile à déchiffrer car rédigée en écriture cursive du 16ème siècle, celle-ci délivre de précieux renseignements sur les principaux bâtiments de Lille à l'époque.
Sur cette image, on peut repérer le nouveau territoire dégagé par l'agrandissement, entre la Porte de la Barre (n°16) et la Porte des Malades (n°21). L'auteur du plan, qui est inconnu, a également dessiné le tracé des anciens remparts, celui-ci contourne la Chambre des Comptes (n°10) et le Palais Rihour (n°9).

Sur cette image qui présente un détail de la place du marché (équivalent de l'actuelle Grand Place et de la place de l'Opéra), on peut remarquer la nouvelle Halle échevinale construite à partir de 1593 (n°13) ainsi que la fontaine et le pilori (n°14).
On remarque également l'église Saint-Etienne, aujourd'hui disparue (n°11), ainsi que la chapelle Notre-Dame des Joyaux (n°12) qui sera détruite quelques années plus tard lors de la construction de la Vieille Bourse en 1652.
Le plan de Lille en 1615 constitue donc un précieux témoignage de la ville telle qu'elle se trouvait à l'aube des grands bouleversements qu'elle allait connaitre à partir de la fin du 17ème siècle.
De profondes modifications qui s'amorcent d'abord avec le retour de Lille dans le royaume de France suite au siège victorieux de Louis XIV en 1667.
Ce dernier confiera immédiatement à son ingénieur et stratège militaire Sébastien Le Prestre de Vauban le projet de construction de la citadelle et d'un nouveau quartier qui modifiera profondément et définitivement la physionomie de la ville. Cette physionomie urbaine sera enfin encore fortement transformée par le dernier agrandissement de 1858 et l'annexion des communes de Wazemmes, Esquermes, Moulins et Fives, par le dérasement des fortifications au début du 20ème siécle et les nombreuses destructions et reconstructions, conséquences des deux Guerres mondiales.