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1793 : le « Chevalier de Saint-George » dévoile à Lille la trahison du général Dumouriez

Le 2 avril 1793, Joseph Bologne de Saint-George, également connu sous le nom de « Chevalier de Saint-George » ou « Saint-George », prévient la municipalité lilloise d’un projet de coup de force qui se prépare sur la ville par un envoyé du général Dumouriez. Ce général vient de trahir la jeune République en s’alliant aux Autrichiens pour rétablir la monarchie. 

Joseph Bologne de Saint-George, colonel, compositeur, violoniste et escrimeur renommé, compromet le plan du général Dumouriez. Il permet d’étouffer la sédition et de sauver la République. Le fameux « Saint-George » vit alors à Lille un nouvel épisode de son existence romanesque.

Le chevalier de Saint-George par Alexandre-Auguste Robineau - Royal Collection - RCIN 404358

Un homme noir à la cour du roi

Quand Joseph Bologne de Saint-George arrive à Lille en 1790, il est déjà célèbre. 

Il est né en 1745 en Guadeloupe, au lieu-dit Saint-George, d’une esclave noire nommée Nanon et d’un père planteur, dont l'identité reste incertaine. Sa famille arrive à Paris en 1749 et Joseph bénéficie d’une éducation privilégiée, réservée aux grandes familles du Royaume. 

En 1764, à l’âge de 19 ans, Saint-George est nommé gendarme de la garde du roi et est fait chevalier. Il excelle en escrime et est un duelliste reconnu. 

Mais Saint-George est aussi et avant tout musicien : il est violoniste, compositeur et professeur de musique de la reine Marie-Antoinette. En 1774, le souhait de la reine de le nommer directeur de l’Académie royale de musique provoque une polémique en raison de sa couleur de peau[

Victime de racisme, il s’engage dans le mouvement des Lumières, fréquente l’association Les Amis des noirs et devient franc-maçon.

Quand la Révolution éclate, il se trouve en mission diplomatique à Londres, auprès du cousin du roi Louis XVI, le duc Louis-Philippe d’Orléans, partisan des idées nouvelles.

Saint-George s’installe à Lille en 1790.

Joseph Bologne de Saint-George à Lille

 

La présence du chevalier de Saint-George à Lille est attestée par les journaux lillois à partir de juillet 1790. Lorsqu’elle l’évoque, la presse met en avant ce qui fait sa renommée : l’escrime et la musique.

Les Feuilles de Flandre du 10 juillet 1790 Bibliothèque municipale de Lille - 32634

Dans son numéro du 10 juillet 1790, le journal local Les Feuilles de Flandre évoque son tournoi à l’épée et précise que « sa supériorité dans les armes ne permet pas qu’il trouve des compétiteurs de sa force […] 

M. Le Chev. de St George, quoique malade, a tiré avec cette grâce qui lui est ordinaire. L’éclair n’est pas plus prompt que son bras […]». 

La Gazette du département du Nord rend compte à plusieurs reprises des représentations musicales données par Saint-George pendant son séjour à Lille, où il se trouve toujours en 1792.   

La Gazette du département du Nord du 7 septembre 1790 Bibliothèque municipale de Lille - 32634
La Gazette du département du Nord du 10 avril 1792 Bibliothèque municipale de Lille – 32634

L’engagement militaire du « chevalier Saint-George » durant la Révolution

La fuite du roi Louis XVI en juin 1791 précipite Joseph Bologne de Saint-George dans la Révolution. Il s’engage dès le 25 juillet dans la garde nationale où il reçoit le grade de capitaine. 

Extrait du registre aux inscriptions des citoyens de la garde nationale « qui se sont offert à marcher les premiers ». Saint-George habite alors rue Notre-Dame (actuelle rue de Béthune) - Archives municipales de Lille - 17702

La succession des évènements révolutionnaires entraine la France dans la guerre. En avril 1792, la guerre est déclarée à l’Empereur d’Autriche. Les armées françaises sont mises en difficulté. 

A Paris, le 14 septembre 1792, un décret crée une « Légion franche de cavalerie des Américains et du Midi ». Saint-George en prend la direction en tant que colonel et celle-ci est vite appelée « Légion Saint-George ». La légion devient ensuite le 13ème régiment de chasseurs à cheval.

Le colonel Saint-George s’adjoint Alexandre Dumas, futur général et père de l’écrivain, comme lieutenant-colonel. 

Les troupes autrichiennes envahissent la France et mettent le siège devant la ville le 23 septembre 1792. La « légion Saint-George » est envoyée au feu contre les Autrichiens sous le commandement du général Dumouriez.

Le rôle du « chevalier Saint-George » suite à la trahison du général Dumouriez

En octobre 1792, suite à la bataille de Valmy, les troupes autrichiennes lèvent le siège devant Lille. Le général Dumouriez, vainqueur de Valmy, est fait commandant de l’armée du Nord. Il bat de nouveau les Autrichiens à Jemmapes et conquiert la Belgique. 

Mais les points de vue entre le général Dumouriez et la Convention divergent. Son échec à conquérir la Hollande et son attachement à la monarchie finissent par le rendre suspect. Il est d’ailleurs tenté de se rallier au commandant des forces autrichiennes pour rétablir avec lui la monarchie constitutionnelle en France. 

Sentant la duplicité de Dumouriez, la Convention envoie une délégation de commissaires, dirigée par le ministre de la Guerre Camus, pour le ramener s’expliquer à Paris.

Recevant la délégation de la Convention à son quartier général de Saint-Amand, Dumouriez se trahit lorsqu’il refuse de les suivre à Paris. Les délégués et le ministre de la Guerre sont faits prisonniers par ses hussards et remis aux Autrichiens. 

Louis Languet, courrier (c’est-à-dire dont la mission est de porter les lettres) du général Dumouriez, témoigne de la suite des évènements devant le Directoire du district de Lille, subdivision du département créé en 1789, chargée de l’administration générale à l’échelon local.

Copie du témoignage du courrier Languet signé par Joseph de Saint-George et Alexandre Dumas le 2 avril 1793 Archives municipales de Lille – Fonds Révolution 18275

«  [Le général] m’a envoyé en dépêche avec une lettre pour le général Miaczynski qui était à Orchies [Le Général Miaczynski avait pour ordre d’assurer le ralliement de la place de Lille, cité indispensable à la réussite du plan de Dumouriez.] 

En arrivant au quartier général d’Orchies pour y donner mes dépêches, j’ai trouvé le général Miaczynski  avec le colonel Saint-George et d’autres officiers de son corps. J’ai pris le général Miaczynski  à part pour lui faire part du malheur qui venait d’arriver, aussitôt il a décacheté la lettre et vu les mots qui étaient y étaient inscrits. Que [Dumouriez] venait de faire arrêter les commissaires de la Convention ainsi que le ministre et qu’il fallait qu’il se transporte avec les troupes du coté de Lille et Cambrai. 

Aussitôt le général Miaczynski est entré dans l’autre appartement et en a fait part au colonel Saint-George qui en a été bien surpris. Aussitôt il a dit au général Miaczynski qu’il fallait qu’il rejoigne à Lille son régiment. Saint-George est monté bien vite à cheval d’après la nouvelle qu’il venait d’apprendre et venu au galop à Lille pour apprendre la nouvelle aux généraux ».

Accompagné par le lieutenant-colonel Dumas, Saint-George se précipite vers Lille. 

Leur arrivée est enregistrée dans les procès-verbaux des séances du Directoire de Lille. 

Les transcriptions du texte sont en italique.  

Précis des faits qui se sont passés à Lille le 2 avril 1793 Archives municipales de Lille – Fonds Révolution 18275

La séance du Directoire commence ce 2 avril vers 9h. 

« Une heure plus tard,  le général Duval, […] commandant de l’arrondissement, se présente dans la salle des séances accompagné des citoyens Saint-George, colonel et Dumas, lieutenant-colonel du 13e régiment de chasseurs à cheval et il a dit qu’ils avaient des affaires de la plus haute importance à communiquer au directoire. »

Saint-George et Dumas révèlent la trahison de Dumouriez et l’arrivée imminente de son complice Miaczynski. Le Directoire fait fermer les portes de la ville.

« Vers midi, l’assemblée a vu avec étonnement (…) défiler sur la place d’armes un certains d’hommes à cheval et peu d’instant après est arrivé le général Miaczynski. Il était seul à pied. »

Aussitôt entré dans la salle des séances il est questionné et confondu. 

« On lui apprit alors qu’instruit de tout ce qui s’était passé aux bains de Saint-Amand et des projets perfides de Dumouriez, tous les membres de l’assemblée avait juré de s’ensevelir sous les murs de la ville plutôt que de se rendre aux ennemis. »

Les troupes de Miaczynski sont rassemblées sur le glacis sous les canons des Lillois afin d’éviter toute tentative de prise de la ville.

 La municipalité fait publier une proclamation : 

Proclamation du Comité de sureté général du 2 avril 1793 Fonds Révolution 18275

« Braves lillois, vous avez déjà sauvé la République en vous dévouant à mourir sous les ruines de votre ville. Vous avez, par une constance héroïque, déjoué le complot des grands coupables qui avaient machiné la ruine de la France

Aujourd’hui votre civisme et votre courage vont avoir une nouvelle occasion de se signaler. L’instant de se montrer bon et vrai républicain est arrivé. Levez-vous braves défenseurs de la liberté, levez-vous en armes, veillez, sauvez encore la patrie. Nous ne vous dissimulons pas le danger qui nous environne.

Dumouriez a osé trahir la confiance de la Nation. Il a osé porter une main hardie sur le représentant du peuple qui lui portait un décret de la Convention nationale. Il a fait plus, il les a livrés à nos ennemis et les a envoyés à Tournai.

Dumouriez, dictateur, veut à l’aide de son armée détruire toutes les autorités. Dumouriez veut s’unifier aux tyrans d’Autriche, dicter des lois à son pays, il veut nous enchainer.

Républicain, après avoir brisé les chaines des rois et de toutes les aristocraties, porterez-vous les fers de Dumouriez et cette ville deviendra-t-elle le boulevard des tyrans ?

Braves lillois, vous ne pourrez sans rougir oublier votre ancienne gloire et nous mourrons tous libres ou nous sauverons encore une fois la République.

Arrêté que la présente proclamation sera publiée et affichée dans les lieux et dans la forme ordinaire

Fait au comité de sureté de la ville le 2 avril 1793 ; l’an deuxième de la République française. »

Le général Joseph Miaczynski est emprisonné et l’alerte est donnée dans tout le département. La tentative de Dumouriez échoue. Abandonné par ses soldats, il peine à rejoindre les lignes ennemies.

Pour autant, Joseph de Saint-George ne sera pas récompensé. La Terreur est décrétée et les anciens proches de Philippe Egalité et Dumouriez sont suspectés. 

Dès le mois de mai 1793, Saint-Georges écrit aux autorités lilloises pour s’assurer leur soutien.

Lettre du Chevalier de Saint-George à la Municipalité de Lille. Fonds Révolution 18275

« Lille, le 4 mai 1793. L’an deux de la République française.

Citoyens officiers municipaux

Je viens de recevoir une lettre du ministre auprès duquel on cherche à nuire à mon corps, qui comme vous le savez, a toujours fait le service. Tout seul dans les découvertes, cantonnements, détachements, ayant gardé et escorté des vivres et des munitions avec la plus grande exactitude, zèle et patriotisme. C’est d’après cette vérité qui doit vous être connue et mon dévouement aux citoyens Lillois avec qui j’ai servi dans la Garde nationale, que je réclame votre justice pour éviter à l’avenir la persécution des âmes mal intentionnées. Pour le service de la République, ma vie et mes talents sont consacrés pour mes frères et rien dans le monde ne pourra altérer mes sentiments patriotiques et républicains

St George colonel du 13èm regt de chasseurs

Malgré cette demande de soutien, Saint-George est arrêté en novembre 1793 et ne sera libéré qu’après la chute de Robespierre en juillet 1794.

Il vivra encore cinq ans avant de s’éteindre à Paris en juin 1799.

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