1902 : Eugène Déplechin réalise le monument en mémoire d’Alexandre Desrousseaux
En 1820, naissait le célèbre chansonnier lillois Alexandre Desrousseaux. Dix ans après son décès survenu en 1892, un monument est érigé à sa mémoire. Qui est Eugène Deplechin, le statuaire qui a réalisé cette œuvre ?
L’inauguration du monument Desrousseaux
Le 17 août 1902, les Lillois se pressent square Jussieu (actuel square Foch, rue Nationale) pour assister à l’inauguration du monument Desrousseaux et rendre hommage au héros populaire de toute une ville, Alexandre Desrousseaux, décédé 10 ans plus tôt en 1892.
Touchés par l’émotion qui se dégage du monument, c’est aussi le talent de son sculpteur, Eugène Déplechin, qu’ils saluent.
Né le 1er juin 1820, Alexandre Desrousseaux, chef de file des chansonniers patoisants du milieu du 19ème siècle, a connu un grand succès de son vivant et reste depuis une figure emblématique de Lille et du Nord. Il doit tout particulièrement sa notoriété à L’canchon dormoire. Berceuse du P’tit Quinquin, composée en 1853.
En 1893, quelques mois après le décès de Desrousseaux, son ami Hyppolite Verly, journaliste à l’Echo du Nord, crée un comité de souscription. Celui-ci œuvre à réunir l’argent nécessaire à la réalisation d’un monument à la mémoire d’Alexandre Desrousseaux qui pourrait s’élever sur une place publique de la ville (consulter le voeux prononcé lors du conseil municipal du 10 novembre 1893). Il faut finalement attendre 1901 pour que la somme nécessaire soit réunie.
L’architecte Louis-Marie Cordonnier est retenu pour concevoir le projet. Il décide, en lien avec la Ville, d’implanter le monument, non sur une place publique mais dans un jardin verdoyant, le square Jussieu (actuel square Foch, rue Nationale), au centre de la ville, non loin de la Grand Place, en bordure d’une des artères les plus fréquentées de Lille à l’époque.
La réalisation des sculptures revient quant à elle au statuaire Eugène Déplechin. Contemporain de Desrousseaux qu’il a côtoyé à plusieurs occasions, le statuaire « offre gratuitement au comité son travail et sa compétence artistique ». Les membres du conseil municipal, lors de leur séance du 20 novembre 1901 (consulter la délibération), approuvent ce choix et précisent que « son projet a paru promettre une œuvre remarquable », à en croire la qualité du modèle en plâtre réalisé dès 1900 (aujourd’hui conservé au Palais des Beaux-Arts de Lille) et déjà présenté à plusieurs reprises, notamment au Salon de Paris.
Eugène Déplechin et le monument à Alexandre Desrousseaux
Lorsqu’il est retenu pour réaliser le monument Desrousseaux, Eugène Deplechin, à l’apogée de son talent, jouit à Lille d'une importante notoriété.

Né à Roubaix le 27 mai 1852, Eugène Déplechin est encore enfant lorsque sa famille s’installe à Lille. Il effectue ses études au Lycée Faidherbe avant de se former en sculpture à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille. Tout en dirigeant les Etablissements Déplechin spécialisés dans la fabrication et la vente de pompes hydrauliques, fondés par son père en 1845, il s’adonne à la sculpture et se fait peu à peu connaître.
Il complète la formation reçue à l’Ecole des Beaux-arts par de nombreux voyages. En Italie, il étudie les maîtres de l’Antiquité et la Renaissance qui imprégneront ses œuvres de classicisme. Ses voyages en Afrique (Egypte, Tunisie, Soudan, Maroc) développent chez lui un réel goût pour l’orientalisme, très présent dans certaines de ses sculptures.
Son talent est reconnu au-delà de la région et il figure dans nombre d’expositions officielles, notamment au Salon des Beaux-Arts de Paris où il expose une première fois à 21 ans en 1873 puis très régulièrement entre 1881 et 1901.
Eugène Déplechin sculpte depuis une trentaine d’années lorsqu’il réalise le monument à Alexandre Desrousseaux. Le monument qu’il crée se compose de deux éléments. D’une part, une stèle surmontée d’un buste de Desrousseaux, qu’il réalise selon une réplique de deux petits bustes en bronze qu’il a exécutés en 1892. Celle-ci surplombe une statue en marbre, qui rend hommage à L’canchon dormoire, la berceuse du P’tit Quinquin qui a tant touché les Lillois et plus largement les gens du Nord. Cette sculpture naturaliste représente la dentelière essayant d’endormir, sur ses genoux, son petit garçon, à côté du berceau en paille.

Le talent d’Eugène Déplechin est d’exprimer dans le marbre ce qu’Alexandre Desrousseaux a dépeint par les mots. Très doué pour décrire des situations d’un quotidien ouvrier particulièrement difficile à la fin du 19ème siècle, Desrousseaux le faisait avec réalisme et sans misérabilisme.
Par sa technique et sa sensibilité, Déplechin traduit avec finesse l’abandon de l’enfant enfin endormi dans les bras de sa mère, et l’attitude de celle-ci, lasse et soucieuse mais aussi sincèrement tendre, qui touche encore aujourd’hui.
Eugène Déplechin, un acteur important de la vie culturelle lilloise de la fin du 19e siècle et début du 20e siècle
Eugène Déplechin a produit de nombreuses autres œuvres dont certaines ont été très remarquées, primées et sont encore connues des amateurs d’art. Parmi elles, Le Charmeur (musée de Barcelone), Amphitrite ou la Fontaine de Bacchus (Palais des Beaux-Arts de Lille). Dans l’espace public lillois, il est également l’auteur du médaillon du Général Faidherbe au cimetière de l’Est ainsi que de la statue d’Auguste Angellier, poète lillois, qu’il réalise quelques mois avant sa mort en 1926.
Eugène Deplechin est également très engagé dans la vie culturelle et artistique lilloise de l’époque, s’impliquant notamment dans de nombreuses commissions et sociétés artistiques. Il se distingue aussi en tant que gymnaste et s’implique plusieurs années dans le cirque amateur lillois. Il a d’ailleurs été vice-président de la Française de gymnastique et de préparation militaire de Lille, et président de l’Association régionale des gymnastes du Nord et du Pas de Calais.

Tout au long de sa vie, Eugène Deplechin occupe d’autres fonctions dont celle de Vice Consul d’Italie à Lille entre 1890 et 1897.
Il a reçu plusieurs distinctions pour ses engagements, nommé officier de l’Instruction publique, commandeur de l’Ordre royal d’Isabelle la catholique d’Espagne, officier de l’Ordre du Nichan de Tunisie et chevalier de l’Ordre du Christ du Portugal.
Sa vie, encore peu connue, gagnerait à être davantage étudiée (voir encart ci-dessous). Il serait en tout cas réducteur de résumer l’œuvre d’Eugène Déplechin à la seule réalisation du monument à Desrousseaux, comme en attestent ses autres œuvres de grande qualité.
Mais il n’en reste pas moins que c’est la statue du P’tit Quinquin qui, du fait de son caractère populaire, a fortement contribué à faire perdurer le nom de Déplechin, comme l’avait souligné Charles Manso, ami de Déplechin, lors de l’inauguration du monument le 17 août 1902.

A ton tour, sois content… car dans ta ville aimée,
Tu laisses pour jamais un brillant souvenir.
Et près du chansonnier, la juste renommée
Ami, conservera ton nom dans l’avenir !
Charles Manso, président de la société « Les Fils des Trouvères »
Les archives familiales d’Eugène Déplechin
En 2014, l’arrière-arrière-petit-fils d’Eugène Déplechin fait don à la Ville de Lille des archives familiales de son aïeul et de costumes et objets lui ayant appartenu ainsi qu’à son fils Jacques Déplechin. Le fonds, qui vient d’être classé, fait l’objet d’un inventaire consultable en ligne. Une partie des documents iconographiques contenus dans le fonds ont été numérisés et sont également à découvrir ici.
Le fonds contient des documents de famille d’Eugène Déplechin (photographies, correspondance, documents d’état-civil…) et de nombreux dossiers relatifs à son activité artistique, en tant que sculpteur et que circassien amateur, ainsi qu’aux différentes fonctions honorifiques qui furent les siennes.
Les documents sont à la disposition des chercheurs qui souhaiteraient étudier cette personnalité importante de la fin du 19ème siècle.
Les costumes et objets sont quant à eux conservés au Musée de l’Hospice Comtesse.