1321 : la fondation de l'hôpital Saint-Julien
Il y a 700 ans, le 31 octobre 1321, une charte est rédigée, actant la fondation d’un hôpital au nom de Saint-Julien, situé rue Basse à Lille.
Nous pencher sur cet acte est l’occasion de découvrir un document prestigieux et permet aussi de comprendre le fonctionnement de cet établissement.
Ce document du moment est le fruit d’une collaboration avec Vincent Laden, responsable de collections au Musée de l'Hospice Comtesse qui nous révèle tout d'un objet exeptionnel en rapport avec cette charte.

Le rouleau de parchemin, rédigé en 1321, stipule que Phane (Stéphanie) Denize, veuve de Jehan le Toillier, édifie en la Basse rue un hôpital « ès nom de mon seigneur Saint Juliien, martir, pour povres trespassant (voyageur) parmi le ville de Lille, hosteler et hebreguier (heberger) ».
Le document est conservé aux Archives municipales sous la cote PAT/197/3959.
S’ensuit selon les volontés de la fondatrice, l’organisation de l’établissement et sa dotation.
L'acte de fondation de l'hôpital...
L’hôpital au 14e siècle est une institution religieuse ayant vocation à accueillir les malheureux, soigner leurs corps et surtout leurs âmes.
Un premier hôpital est mentionné dans la charte de fondation de la collégiale Saint-Pierre rédigée en 1066 (un des plus anciens documents faisant mention de la ville de Lille).
Cet hôpital n’est alors réservé qu’aux clercs du chapitre. Il faut attendre le 13e siècle et le début du 14e siècle pour que l’on assiste à une floraison d’établissements hospitaliers dans la cité : l’hôpital Saint-Sauveur vers 1214, Saint-Nicolas en 1231, l’Hospice Comtesse en 1237, Saint-Nicaise en 1268, la Trinité en 1291, les Grimaretz en 1345, Marthes en 1361 etc.
La fondation de Saint-Julien s’insère donc dans un mouvement plus large de développement des établissements charitables.
L’acte de fondation est daté de 1321 mais des documents antérieurs à cette date mentionnent cet hôpital.
C’est le cas par exemple d’une donation faite à cet établissement dès 1295, ce document est conservé aux Archives départementales du Nord. La charte de 1321 serait plus vraisemblablement la confirmation d’une fondation antérieure et l’apport de nouvelles dotations.
A défaut du document d’origine, nous ne connaissons pas la date exacte de cette fondation.
Le document est rédigé en français sur peau de parchemin de 43 cm sur 70 cm. Il est scellé du sceau de la Ville, inséré dès l’origine dans une boite en fer.
Auparavant conservé roulé, cet acte a été mis à plat lors de sa restauration en 2018.
La minutie de la calligraphie, la lettrine, la qualité du parchemin attestent de l’importance que les fondateurs ont voulu donner à l’acte
… conservé dans un écrin de prestige
Le parchemin, une fois roulé était conservé dans un écrin tout particulièrement raffiné, une custode, aujourd’hui conservé au Musée de l’Hospice Comtesse.
Cet objet tout à fait exceptionnel a été étudié par Emile Théodore, conservateur du Palais des Beaux-Arts de 1912 à 1937 (Emile THEODORE, La custode de la charte de fondation de l’hôpital Saint-Julien de Lille en 1321 in bulletin de la Société d’Etude de la Province de Cambrai) .

Une custode est un terme emprunté au domaine liturgique pour une boîte de protection d’un instrument, d’un livre ou d’un document officiel.
L’objet, généralement réalisé avec soin, peut être doublé à l’intérieur comme à l’extérieur.
La custode peut être recouverte de cuir, de tissu ou encore être peinte. Elle peut prendre également la forme d’une petite boîte ronde généralement en métal précieux pour contenir quelques hosties consacrées que le prêtre distribue lors de la communion en dehors de l’église.
La custode de l’acte de fondation de l’hopital Saint-Julien a la forme d’un étui carré long et étroit composé d’épaisses bandes de cuir de bovin. Seule la partie supérieure de l’écrin présente une riche ornementation.

Il semble que le relief des écus ait été obtenu par gaufrage.
Cette technique permet de donner du relief à tous matériaux à mémoire de forme (cuirs, tissus, métaux en feuilles), par la mise sous pression de ces matériaux entre une plaque de gaufrage ou "matrice de gaufrage" et sa contrepartie.
Les motifs attenants, végétaux et frises, semblent- réalisés par le repoussage et la gravure.
Le repoussage consiste à mettre en valeur un motif en écrasant les fibres du cuir autour du dessin et ainsi, donner du relief au dessin.

Cette technique mixte offre ainsi un jeu de bruns clairs et foncés contrastés faisant ressortir les motifs.
Les morceaux sont biseautés pour permettre leur assemblage à angle droit.
L’ensemble est cousu et marouflé sur une légère armature de bois. L’intérieur de la boîte est entièrement gainé de cuir blanc très fin teinté en rose.
Le cuir provient probablement d’un jeune animal, veau ou agneau.
Un lobe semi cylindrique est destiné à recevoir le sceau appendu en bas de l’acte. Elle est fermée par trois ferrures en alliage ferreux : deux ferrures latérales symétriques et une centrale. La ferrure disposée au centre est équipée de son moraillon, la pièce s’abattant permettant la fermeture de la custode.
Le dessus du couvercle est décoré de huit écus reproduisant les armoiries de Phane Denize et Jean Le Toillier, les fondateurs de l’hôpital, des familles Lenepveu ; Du Castel, Vrete et Beaufremez. Des animaux fantastiques ornent les autres côtés.
La custode a été restaurée en 2019.
La fondation et le bâtiment
La fondation de l’hôpital est faite par Phane (Stéphanie) Denize et son fils Nicolas, à partir des maisons et dépendances appartenant à Jean le Toillier leur époux et père dont Phane a hérité après son décès à la dernière décennie du XIIIe siècle.
Les archives hospitalières, parfois antérieures à l’acte de fondation nous renseignent sur les achats et la gestion de ces terrains situés rue Basse.
Dans l’acte de fondation de l’hôpital Saint-Julien, Phane fait référence aux « aumosnes de autres pluseurs boines gens » qui participent de fait à cette fondation. Les écus figurant sur la custode en désigne certains : les familles Lenepveu, Du Castel, Vrete et Beaufremez. Ces familles sont unies par des liens matrimoniaux directs.
La plupart de ces familles sont des bourgeois par achat, ayant fait leur fortune dans le commerce de draps (famille Le Nepveu ou Du Castel par exemple) ou dans les finances, ou encore ayant obtenu des charges échevinales prestigieuses (famille Vreté par exemple).
Il s’agit donc d’une fondation faite à l’initiative d’un groupement de familles portée par Phane Denize rassemblant capitaux et bâtiments.
Mais la dotation reste tout de même modeste. Jugeant que la fondation ne peut suffire à la construction de l’hôpital, l’Eglise, par la voix d’évêques, encourage à faire des aumônes pour l’établissement contre 40 jours d’indulgences. Ces indulgences sont les jours de rémission de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée.
L’hôpital se développe petit à petit et une chapelle, consacrée en 1581, remplace ou complète le simple oratoire existant.
La gestion et le fonctionnement de l’établissement
L’établissement est géré par deux personnes appartenant au lignage de Phane Denize. Son fils, Nicholes Li Toilliers, est désigné comme son successeur et futur gouverneur de l’hôpital.
L’établissement est donné à la responsabilité des échevins de la ville. Ceux-ci en assure la direction et en désigne le gouverneur.
Ces échevins approuvent dans la deuxième partie de l’acte qu’il se chargeront de l’hôpital au décès de Phane « Et nous li eschevin de le ville de Lille, volons que tout sachent que nous, à le priière et à le requeste de Phanain Denise, devant nommée, et de Nicholon Le Toilier, sen fil, qui toutes les coses en ches presentes lettres contenues loa et grea par devant nous, avons pris et prendons le dit hospital Saint Julien et les appendances de l’hospital en no main, en no cure et en no ware, apriès le dechiès de le dite phanain […]
Le sceau de l’échevinage appendu à la charte valide cet engagement.
L’acte de fondation détaille également le fonctionnement de l’établissement. la lecture du texte laisse comprendre qu’il s’agit d’un refuge pour voyageurs plus que d’un hôpital.
En effet, cette fondation s’inscrit dans une période marquée par le développement du mouvement dévot en Flandres, où de nombreux asiles hospitaliers se créent pour accueillir les pèlerins qui parcouraient les routes.
La maison est dotée de 16 lits destinés à accueillir pour une nuit, et une nuit seulement, les pauvres « trespassant » c’est à dire ceux qui passent par la ville. Les réfugiés doivent, comme il est stipulé dans l’acte, quitter l’hôpital le lendemain matin. Néanmoins, quatre des lits sont expressément réservés aux voyageurs malades qui ne pourraient repartir le lendemain.
Destiné en premier lieu aux pèlerins pauvres de passage dans la cité, l’hôpital Saint Julien peut aussi recevoir pour une nuit, si des places restent libres, les mendiants de la ville.
En hiver, pour l’ensemble des hébergés, voyageurs « trespassant » et mendiant locaux, une soupe de pois ou de fèves est distribué. Un grand feu est allumé tous les jours de froid et le gardien doit laisser la porte donnant sur la rue ouverte afin que les pauvres puissent aller et venir se réchauffer près du feu ( « Le huis (la porte) sur la chaussée soit toudis (toujours) ouvert, pour les communs povres aller et venir au fu »).
L’hôpital se transforme ainsi en chauffage public.
L’établissement organise quotidiennement des actions spirituelles devant soigner les âmes.
Les sacrements sont donnés aux malades alités et une messe quotidienne est célébrée d’abord dans un oratoire puis une chapelle.
Tous les jours, cette messe sera dite pour les âmes de « Marie de Bauffrumeis, femme jadis de Pieron Maillart, de Pieron, sen mari, de Gillon Roussier, de Mariien, sa femme et de tous ceux et celles qui bien ont fait à ladite maison ».
Tous les jeudis, aux vêpres, le gardien de l’établissement se charge de faire « le mandé » à trois mendiants présents dans la ville. Cette cérémonie religieuse consiste à laver les pieds de ces pauvres, à l’image du Christ qui lavait les pieds de ses apôtres, et à leur offrir un repas.
La fin de l’établissement
L’établissement se développe jusqu’à accueillir en moyenne 70 indigents par jours en 1698 mais la population accueillie semble s’éloigner de celle à qui l’établissement était destiné.
L’endroit devient en effet un lieu de débauche et de libertinage qui dérange les autorités locales.
Après avoir tenté de remettre de l’ordre dans l’établissement, les échevins demandent au roi la suppression de l’hôpital Saint-Julien en 1701.
Une ordonnance royale valide cette demande et les biens de la fondation sont transférés d’abord à l’hôpital des Invalides puis en 1738 à l’Hôpital Général.
Les murs subsisteront jusqu’au milieu du 18e siècle.