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2008 : la découverte d’un mystérieux document

Il était quasiment illisible, impossible à déchiffrer. Mais restauré en 2008, ce document sur parchemin offre un surprenant éclairage sur l'histoire de Lille en 1705, à une époque où la France et l'Espagne font face aux autres puissances européennes. Commande du Magistrat de la ville pour inciter la population à réaffirmer son soutien à la couronne de France, il est insolite aussi par la personnalité de son auteur : le calligraphe Cornélius de Bourgogne, brillant par son art mais qui paya cher son talent de faussaire... 

Oeuvre du calligraphe Cornélius de Bourgogne représentant Louis XIV et Philippe V autour d'un Christ en croix - Archives municipales de Lille - 17466

Oeuvre du calligraphe Cornélius de Bourgogne représentant Louis XIV et Philippe V autour d'un Christ en croix - Archives municipales de Lille - 17466

Un document calligraphié datant de 1705, restauré en 2008


Une opération de restauration peut être l’occasion de redécouvrir des pièces surprenantes. C’est le cas pour le document conservé sous la référence 17466 : un grand support en parchemin de 1,36 mètre sur 1,31 mètre, formé de quatre grandes peaux complètement noircies de suie sur lesquelles on distinguait difficilement un dessin tracé à la plume.

On retrouvait une description de l’œuvre dans le répertoire des archives anciennes à la référence indiquée.

Celle-ci, en latin, est imprécise : Amplissimo celeberrimi Emporii Insulensis MAGISTRATUI.

En 2007, ce document est encore roulé et attaché à ses barres de lest qui devaient servir à l’exposer. Il semble avoir été oublié des archivistes et des lecteurs de ces derniers siècles.

 La restauration de 2008 a révélé sous la couche de suie un dessin tracé à la plume d'une grande finesse.

L’opération de restauration effectuée fut l’occasion de dépoussiérer totalement les peaux de parchemin et rendre de nouveau visible cette œuvre produite par un calligraphe du début du 18e siècle.

Le document se révèle signé et daté, permettant son identification. L’auteur est Corneilius de Burgünduy ou Cornélius de Bourgogne. Le document a été commencé le 18 décembre 1704 et achevé le 22 mai 1705.

Un document orné d’une multitude d’éléments


La partie supérieure du document représente le Christ en croix. La croix sépare deux personnages à cheval. Du côté gauche est représenté le roi Louis XIV et du côté droit le roi Philippe V d’Espagne, petit fils du roi de France.

La partie inférieure est composée d’un motif de décoration flanqué de deux obélisques et au milieu de laquelle on voit une statue de la vierge à l’Enfant placée dans une niche. De part et d’autre sont figurées deux vertus cardinales : la Justice et la Prudence. 

L'artiste orne le parchemin de nombreux symboles : les instruments de la Passion, les armoiries des deux monarques, des chronogrammes, etc.

La Guerre de succession d’Espagne


Le 10 novembre 1700, Charles II, roi d’Espagne meurt. Au début de son règne, en 1667, il avait dû céder la ville de Lille au jeune Louis XIV lors de la Guerre de Dévolution. Après des années de conflit avec la France, son royaume épuisé économiquement et militairement, il désigne Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV comme héritier légitime.

Les deux royaumes sont maintenant alliés par le sang ce qui trouble l’équilibre des puissances européennes. De plus, Louis XIV prend des initiatives provocatrices : il reconnait les droits de Philippe V à succéder à la couronne de France, il chasse les troupes hollandaises des places fortes des Pays-Bas espagnols et il reconnait le fils de Jacques II, roi déchu d’Angleterre réfugié en France, comme roi légitime.

Passé la stupéfaction, les autres puissances organisent la riposte. L’empereur Léopold de Hasbourg signe avec les Provinces-Unies et l’Angleterre le traité qui entérinne la Grande Alliance de La Haye le 7 septembre 1701. Ils rassemblent autour d’eux la plupart des Etats d’Europe du nord et de l’Empire et s’opposent à la France et à l’Espagne.

Lille et les provinces du nord ne subissent dans un premier temps que les effets indirects de la guerre. Mais après quelques succès militaires viennent de gros revers pour les Français. Les défaites successives entrainent la prise de Lille par les troupes coalisées en 1708.

L’œuvre de Cornelius de Bourgogne rassemble les deux monarques sous l’autorité du Christ dans un combat pour la défense de la chrétienté.

Les phrases en latin inscrites au-dessus des deux rois indiquent leurs vocations :

  • Louis XIV défend la France et l’Espagne - Hic Galliam et Hispania Defensat
  • Philippe V se bat pour le Christ - Hispania dimicat pro christo
Louis XIV défend la France et l’Espagne - Hic Galliam et Hispania Defensat - Archives municipales de Lille - 17466
Louis XIV défend la France et l’Espagne - Hic Galliam et Hispania Defensat - Archives municipales de Lille - 17466
Philippe V se bat pour le Christ - Hispania dimicat pro christo - Archives municipales de Lille - 17466
Philippe V se bat pour le Christ - Hispania dimicat pro christo - Archives municipales de Lille - 17466

Dans le contexte de la guerre de Succession d’Espagne, ce sont les pays protestants de la Grande Alliance qui sont ciblés.

Une commande du Magistrat


La dédicace principale inscrite tout en haut du document nous informe sur le commanditaire de l’œuvre.

Dédicace en haut du parchemin permettant d'identifier le commanditaire de l'œuvre - Archives municipales de Lille - 17466

Dédicace en haut du parchemin permettant d'identifier le commanditaire de l'oeuvre - Archives municipales de Lille - 17466

Amplissimo celeberrimi Emporii Insulensis MAGISTRATUI hanc Regis Regum im CHRISTI a Serenissimis Avo ac NEPOTE regibus Christianissimis alq Catholico adorati & invocati iconem solo calamo exaratam humillime offerebat ac dedicabat

Cela signifie que c'est le Magistrat de Lille, l’échevinage, qui offre et dédit humblement cette icone faite à l’aide d’un simple calame, au Christ, le Roi des rois et aux rois chrétiens catholiques de France et d’Espagne.

Les registres de comptes de la Ville ont permis de retrouver la gratification faite à l’artiste pour son oeuvre. 

La dépense est inscrite au chapitre des dépenses extraordinaires (registre 16439 folio 261).

Extrait des comptes de la Ville mentionnant la commande de l'œuvre - Archives municipales de Lille - 16439

Extrait des comptes de la Ville mentionnant la commande de l'œuvre - Archives municipales de Lille - 16439

 On y lit :

A Cornil de bourgogne natif de cette ville, la somme de quatre vingt florins a luy accordés par Monsieur du Magistrat [du fait] qu’il leur a présenté un tableau en velin fait à la plume contenant un crucifix avec les roys de France et d’Espagne enrichys de cronographe comme apport par ordonnance du 6 de juin 1705 signé Hereng.

Les comptes renvoient à l’ordonnance du magistrat du 9 juin 1705 sur l’organisation de la procession annuelle de la Ville.

Consulter l'ordonnance du magistrat du 9 juin 1705.

Il est probable que l’œuvre fut exposée sur le parcours de cette procession pour exhorter la population à soutenir le roi de France dans sa guerre contre la Grande Alliance et rappeler aux Lillois leurs liens historiques avec la couronne d’Espagne.

En effet, le royaume de France est conscient de la fidélité fragile des populations des villes autrefois soumises à l’Espagne. Un ressentiment anti-français est présent à Lille après la capitulation devant Louis XIV en 1667. La population des Pays-Bas se souvient des destructions et dévastations commises par les troupes françaises lors de la guerre de Hollande (1672-1678). La Grande alliance exploite ce ressentiment et diffuse dans les Pays-Bas espagnols des libellés appelant les sujets du roi d’Espagne à la révolte (voir Clément OURY, La guerre de succession d’Espagne. La fin tragique du Grand Siècle, Tallandier, 2020,p 215).

L’auteur de cette calligraphie


La restauration du document a permis de découvrir la signature de l’auteur du document, un certain Cornélius de Burgündia. Curieusement, il se présente comme lillois (insulensis) sur son œuvre mais aussi devant le Magistrat qui l’inscrit comme natif de Lille sur les comptes de la Ville.

Pourtant, Cornélius de Bourgogne n’est pas lillois. Il est né à Leffinge près d’Ostende situé en région flamande dans la province de Flandre-Occidentale. En 1661, on le retrouve comme secrétaire de la ville de Bruges (voir  Charles Louis CARTON, "Enlumineurs et Calligraphes de la Flandre", Vandecasteele-Werbrouck, 1849).

L’abbé Charles Louis Carton (1802-1863) le mentionne dans son ouvrage "Enlumineurs et Calligraphes de la Flandre" imprimé chez Vandecasteele-Werbrouck en 1849. Il y indique qu’il possède quelques tableaux de Cornélius de Bourgogne dont « un poème écrit sur quatre immenses peaux de velin, ornée d’emblêmes, d’arabesques, du Christ à la croix et de deux rois à cheval ». Il ne s’agit pas d’une copie du document conservé à Lille car les deux rois représentés sont Charles II et Louis XIV. Néanmoins Cornélius de Bourgogne semble avoir reproduit ce type d’œuvre plusieurs fois.

D’après Charles Louis Carton, d’autres œuvres du calligraphe ont été retrouvées : les Archives de l’Etat à Gand conserverait de lui une calligraphie de 3 mètres sur 2, faite en 1702 et représentant une flotte et des portraits du roi d’Espagne et d’Emmanuel de Savoie.

Doué pour l'écriture et la calligraphie, il utilisa également son talent pour l'imitation des écritures comptables ou testamentaires. Il fut condamné pour cela par le Conseil des Flandres le 28 mars 1722 à la potence et sa tête fut exposée au bout d’une pique.

L’œuvre de Cornélius de Bourgogne conservée aux Archives de Lille permet de nous faire une idée de l’état d’esprit de la population lilloise au début du 18e siècle. Elle est entrée « sous l’obéissance du roi de France » en 1667 et il semble nécessaire au Magistrat de réaffirmer l’attachement de la population au royaume. La défense acharnée de la ville en 1708 durant quatre mois montrera que la population a fait bloc avec les troupes françaises commandées par Boufflers (voir Clément OURY, op. cit. p 402).

Pour aller plus loin

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